
28 Jan Métavers et Propriété Intellectuelle

Par Yves Schyns Conseil en Marques et Dessins et Modeles | Groupe Ipsilon
Le métavers, cet univers virtuel et interactif en constante évolution, représente aujourd’hui un nouveau terrain rempli d’opportunités et suscitant l’engouement de nombreux acteurs du marché. Mais surtout, il annonce de nouveaux défis pour le monde de la propriété intellectuelle. La convergence du monde physique et virtuel modifie notamment les interactions entre les marques et les consommateurs. Il en résulte une nécessité pour les entreprises de revoir leurs stratégies de protection de marques, car une stratégie adaptée à la protection d’une marque dans le monde physique risque de ne plus suffire pour son équivalent digital. Explications.
Le bouleversement des principes de spécialité et de territorialité
En premier lieu, il convient de revenir sur deux grands principes sur lesquels le droit des marques repose :
– Le principe de spécialité (auquel la marque notoire et la marque de renommée font toutefois exception), selon lequel une marque est protégée pour des produits et services spécifiques.
– Le principe de territorialité, qui limite cette protection aux frontières géographiques d’un territoire donné, à savoir un pays, ou une union de pays (par exemple le Benelux ou l’Union européenne).
Lorsque nous entrons dans le métavers, ces deux principes sont rudement bousculés. Une redéfinition, ou à tout le moins une adaptation s’impose.
Principe de Territorialité
Le métavers est global par essence, ce qui rend le principe de territorialité plus difficile à appliquer en l’espèce. La protection d’une marque déposée dans un pays peut-elle s’étendre au métavers, où des consommateurs aux quatre coins du monde naviguent ?
Une solution possible réside dans la théorie de la « focalisation », utilisée pour les infractions de marques sur Internet, où la cible d’un acte contrefaisant (comme la langue ou la livraison dans un pays spécifique) peut justifier une action en justice.
Principe de spécialité
Le métavers permet aux utilisateurs du monde entier d’interagir avec des NFTL, à savoir des biens virtuels tels que des vêtements pour leurs avatars, des objets d’art pour décorer leur appartement digital, ou encore des voitures de luxe pour s’y déplacer. Peut-on pour autant en conclure qu’il s’agit de produits similaires à leurs équivalents physiques ?
Prenons l’exemple d’un sac à main. Bien qu’un sac virtuel dans le métavers n’ait pas la même fonction qu’un sac physique, il porte néanmoins souvent les mêmes symboles de style et de prestige que son équivalent réel. Le consommateur peut ainsi être influencé par une marque apposée sur un produit virtuel, comme il le serait pour marque apposée sur un produit réel.
Dans ces circonstances, un risque de confusion est-il possible ?
L’affaire Metabirkin illustre parfaitement cette question. En 2021, l’artiste Mason Rothschild a créé des NFT représentant des sacs Birkin, une marque emblématique de Hermès, sous le nom « MetaBirkins ». Hermès a poursuivi Rothschild en invoquant la violation de sa marque, et arguant que la mise à disposition de ces sacs virtuels créait une confusion avec ses produits physiques, menaçant ainsi son image de marque.
Le Tribunal Fédéral de New York a considéré que cette utilisation de la marque MetaBirkin portait effectivement atteinte aux droits antérieurs d’Hermès et que les consommateurs étaient induits en erreur quant à l’origine des produits. En outre, les NFT n’ont pas été considérés comme un « art protégé » et il a donc été considéré qu’ils violaient les droits de marque d’Hermès.
Cette affaire souligne l’importance pour les entreprises de se protéger contre l’utilisation non autorisée de leurs marques dans le métavers, où les frontières entre le réel et le virtuel s’estompent.
Il est important de noter que cette décision émane d’un tribunal de New York, et non d’une juridiction européenne. Si elle nous offre un premier aperçu de ce qui pourrait être décidé par les instances européennes, il subsiste toutefois un certain flou juridique sur ce sujet pour l’instant.
Par ailleurs, au-delà de l’aspect géographique, il convient d’aborder cette décision avec prudence, car elle concerne une marque renommée appartenant à une maison de luxe d’envergure internationale. La décision aurait-elle été la même si la marque invoquée d’était pas une marque renommée ? Rien n’est moins sûr.
Quelles sont les mesures à prendre pour anticiper les risques ?
Compte tenu du fait que la jurisprudence en la matière en est encore à ses balbutiements, la prudence est de mise. Les futurs titulaires de marques ont dès lors tout intérêt à anticiper d’éventuelles atteintes à leurs droits, ce qui pourrait leur être fortement préjudiciable. Aussi, pour se protéger efficacement, il est recommandé de :
– Faire un état des lieux de l’étendue de la protection de ses marques.
– Enregistrer les marques pour des produits et services liés aux environnements virtuels. Concrètement, les produits virtuels sont classés dans la classe 9 de la Classification de Nice.
– Surveiller activement les activités tierces dans le métavers pour détecter d’éventuelles contrefaçons.
En procédant de la sorte, les titulaires de droit éviteront les incertitudes liées à une jurisprudence qui est loin d’être solidement établie en la matière.
Enfin, qu’une collaboration entre les régulateurs nationaux et internationaux et les plateformes de métavers sera cruciale pour instaurer des règles claires et faire respecter les droits de propriété intellectuelle dans ces espaces numériques.
Avis de l’auteur
En définitive, le métavers offre des opportunités de développements commerciaux sans précédent, mais nécessite également une vigilance accrue en matière de propriété intellectuelle. En particulier, la protection des marques, qui représentent une valeur énorme pour les entreprises dans le monde réel, doit aujourd’hui s’adapter à cette nouvelle réalité numérique qui avance à une vitesse vertigineuse. En définitive, que vous soyez ou non une entreprise avec une présence active ou en développement dans le métavers, il est temps d’adapter vos stratégies de dépôt de marques en y incluant des produits et services virtuels. En anticipant les risques et en prenant les mesures nécessaires sans plus attendre, vous aurez la garantie que votre marque demeurera protégée – que ce soit dans le monde réel ou numérique.
Sources:
Park, K. (03/2022), Les marques dans le métavers, OMPI MAGAZINE, https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2022/01/article_0006.html
Dahan, V. (04/2022), Les métavers et la propriété intellectuelle : quelle protection pour les titulaires de marques ?, Article Editions Multimedia n° 276, https://www.joffeassocies.com/wp-content/uploads/2022/04/Newsletter-IP-metavers-avril2022.pdf
Ancré Team (01/2021), Hermès attaque un artiste pour contrefaçon dans le Metavers, https://ancre-magazine.com/hermes-sac-birkin-metabirkin-contrefacon
Hermes Int’l v. Rothschild, 22-CV-384 (JSR) (S.D.N.Y. May. 18, 2022